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JOURNÉE III, SCÈNE II.

eusebio.

Ce sont les armes que me donna cette croix au pied de laquelle je naquis… et voilà tout ce que je sais de ma naissance. Mon père, que je ne connais pas, me délaissa sans doute dans la prévision de ce que je devais être. Mais c’est ici que je suis né.

curcio.

Et c’est ici que je devais éprouver une joie égale à ma douleur, effet d’une destinée tout à la fois favorable et cruelle. — Ah ! mon fils ! quel bonheur et quel chagrin de te voir ! — Oui, Eusebio, tu es mon fils ; j’en avais le pressentiment ; et faut-il, hélas ! ne te retrouver que pour te voir mourir !… C’est ici que ta mère te mit au jour… Le ciel me punit là où j’ai péché… Et s’il pouvait me rester quelques doutes, cette croix qui est empreinte sur ton sein, et qui est toute semblable à celle de Julia, les aurait bientôt dissipés. Ah ! le ciel, en vous marquant tous deux d’une façon si mystérieuse, a voulu que vous fussiez l’étonnement et l’enseignement du monde.

eusebio.

Je ne puis parler, ô mon père… Adieu… Un voile funèbre s’appesantit sur moi, et je sens la mort qui m’entraîne. Me voilà arrivé au moment solennel. (Il appelle.) Alberto !

curcio.

Étais-je destiné à pleurer mort celui que j’abhorrais vivant ?

eusebio, appelant.

Venez donc, Alberto !

curcio.

Situation cruelle !

eusebio, appelant.

Alberto ! Alberto !

Il meurt.
curcio.

Il n’est plus !… Ah ! dans ma douleur, j’arracherais mes cheveux blancs !


Entre BLAS.
blas.

Vos plaintes sont inutiles ; et vous avez besoin d’appeler à vous tout votre courage.

curcio.

Jamais homme ne fut si malheureux… O destinée cruelle ! ô étoile funeste !


Entre OCTAVIO.
octavio.

En ce jour, seigneur Curcio, la fortune vous accable de tous les maux qu’un mortel peut souffrir. Le ciel sait combien il m’en coûte de vous annoncer un nouveau malheur.