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MAISON À DEUX PORTES.

don félix.

Écoutez-moi donc.

laura.

Vous en irez-vous après ?

don félix.

Oui.

laura.

Eh bien ! parlez, et ensuite allez-vous-en.

don félix.

Ce serait une folie à moi de vous nier que j’aie autrefois aimé Nice ; mais ce serait une plus grande folie à vous d’aller vous imaginer que l’amour que j’ai eu pour Nice ait ressemblé le moins du monde à celui que Laura m’inspire. Non, ce n’était pas cela de l’amour ; ce n’était que l’apprentissage de l’amour. J’ai appris seulement, j’ai étudié auprès de Nice comment je devais aimer Laura.

laura.

La science d’aimer ne s’apprend pas et ne demande pas d’étude. L’amour, pour être savant, n’a pas besoin d’aller à l’Université ; il s’instruit assez par lui-même, il sait de lui-même tout ce qu’il doit savoir ; il ne peut que perdre à vouloir se rendre plus habile ; et par là ceux qui ont le plus d’expérience d’amour sont toujours les moins capables d’aimer.

don félix.

Je me suis mal exprimé, Laura.

laura.

Au contraire, fort bien, don Félix.

don félix.

Souffrez que je choisisse un autre exemple.

laura.

Non pas, c’est inutile.

don félix.

Un seul mot, je vous supplie.

laura.

Vous en irez-vous après ?

don félix.

Oui.

laura.

Eh bien ! parlez, et ensuite allez-vous-en.

don félix.

Supposez, Laura, un homme né aveugle ; il entend parler du soleil, de son éclat, de son rayonnement ; et l’admirant sur la foi d’autrui, il cherche à se le représenter en idée. Par une belle nuit il recouvre soudainement la vue ; il regarde le ciel, et la première chose qu’il aperçoit, c’est une étoile scintillante. Étonné, il se dit : Voilà sans doute le soleil ! qu’il est magnifique le soleil ! c’était bien ainsi que je me figurais le soleil !… Mais, tandis qu’il s’abandonne