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JOURNÉE II, SCÈNE I.

herrera.

À quelle heure faudra-t-il revenir chercher madame ?

marcela.

À la nuit tombante, Herrera ; ce sera assez tôt.

herrera.

Le serein est bien dangereux à cette heure-là. Mais, n’importe… puisque vous le voulez…

Il sort.
marcela.

Tu es mon amie, belle Laura, et, de plus, tu es noble et spirituelle. Je ne puis me confier mieux qu’à une femme qui a de l’amitié pour moi, et, en outre, de la noblesse et de l’esprit.

laura.

Voilà des précautions oratoires bien extraordinaires. Tu excites ma curiosité !…

marcela.

Sommes-nous seules ?

laura.

Oui. Laisse-nous un moment, Celia.

marcela.

Celia peut rester. Je demandais si personne…

laura.

Non, il n’y a personne près d’ici. Commence, de grâce.

marcela.

Écoute-moi, Laura, avec attention. — Mon frère, don Félix, a amené ces jours-ci à la maison un noble cavalier dont il est l’ami depuis long-temps, et qu’il a retrouvé récemment à Aranjuez. Il est probable que mon frère se sera promptement repenti d’avoir offert cette hospitalité dont il n’avait pas prévu les inconvéniens ; car, à peine arrivé avec son hôte, il exige que je leur cède à tous deux mon appartement, et que, retirée au fond de la maison, je vive là de telle sorte que son ami ignore à jamais ma présence et même que j’existe. Sans doute mon frère a cru parer ainsi aux bavardages d’Ocaña, où l’on le blâmerait d’avoir logé chez lui un hôte aussi jeune quand il a une sœur à marier… Je ne dois pas oublier de te dire que la porte qui communique de son appartement actuel au mien, mon frère a eu le soin de la faire recouvrir d’une tapisserie, en guise de portière, afin que son ami ne vienne pas à soupçonner que la maison a un autre logement. Mais en voilà assez sur don Félix, qui s’imagine empêcher ainsi que son ami me voie et me parle ; en voilà assez sur son ami, qui mange et dort à la maison sans se douter qu’une femme y habite ; venons à moi. Toutes ces précautions que, prend mon frère m’ont offensée, irritée ; il n’y a rien qui excite la femme la plus soumise et la plus résignée comme le manque de confiance ; cela même a causé souvent plus d’une imprudence fatale à l’honneur. Ainsi, quand on veut absolument ou-