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préoccupé, amaigri, écartant les jeunes filles offertes, et le goût des baisers l’écœurait. Il y avait une pâleur terrible sur sa face de beauté : avec son gorgerin d’émeraudes et ses bracelets de joaillerie cerclant ses bras minces, il semblait, nu et blanc, sa propre effigie d’ivoire. Consternées, ses favorites vivaient dans une angoisse morne. Tantôt il faisait taire ses musiciens, et tantôt il leur commandait de jouer des danses violentes, et avec un défi frénétique il les lançait jusqu’à la limite des parcs, comme pour porter à Alilat l’annonce d’une insouciance ironique que démentait le tumulte de son âme.

L’implacable désir d’Alilat allait vers le jeune homme avec la rectitude inouïe que donne la simplicité du fatalisme. Il lui plaisait, parce qu’il incarnait les deux sentiments les plus délicieux qu’elle connût, ceux qui sont comme deux ailes enveloppant toute la couvée des émotions humaines : la haine et l’amour. Obtenir Sparyanthis serait se venger de Cimmérion, et cette vengeance, exprimée par un baiser, serait la plus exquise de toutes. L’orgueil de sa race détruite renaîtrait en la personne de la dernière fille des rois, humiliée, captive, jetée dans la couche du vainqueur et soudain redressée, vengeresse ; toute conquête faite sur l’âme et les sens de Sparyanthis serait enlevée à l’âme et aux sens de Cimmérion, et dans Sparyanthis lui-même en éveillant