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terre, il existe des motifs pour renvoyer avec convenance à un chapitre ultérieur les considérations sur la politique de l’Union.

§ 13. — Les sols les plus fertiles sont délaissés, dans tous les pays où la guerre obtient la prédominance sur le commerce. La splendeur individuelle s’accroit en raison de la faiblesse croissante de la société. Moins est considérable la proportion qui existe entre les soldats et les trafiquants, et la masse des individus dont la société se compose, plus est considérable la tendance de celle-ci à la force et à la durée.

Que la faculté de s’associer volontairement, ou le pouvoir d’entretenir le commerce, existe en raison directe du développement de l’individualité, c’est un fait dont la vérité ne peut être contestée par ceux qui ont observé les mouvements des individus dont la société se compose. Ce fait est aussi vrai à l’égard des nations qu’il l’est à l’égard des personnes, l’individualité parmi celles-ci se développant également en même temps que la paix et le commerce, et s’amoindrissant avec le développement des habitudes militaires et la nécessité de dépendre des services du trafiquant. Chaque pas fait dans la première direction est suivi d’un accroissement dans cette domination exercée sur la nature, qui constitue la richesse ; tandis que chaque pas fait dans la direction contraire est suivi d’une diminution de puissance ; et c’est pourquoi nous voyons les sols fertiles abandonnés, dans tous les pays où la guerre, ou le trafic, obtiennent la prééminence sur le commerce, ainsi qu’on le voit en Irlande, en Italie, dans l’Inde, la Turquie, la Virginie et la Caroline.

Moins est intense la puissance d’association locale, plus est considérable la tendance à la centralisation et à la création de grandes villes, ainsi qu’on a pu le constater dans l’accroissement d’Athènes et de Rome, toutes deux si magnifiques à la veille même de leur ruine, ainsi qu’on peut le constater aujourd’hui à Londres, à Paris et à Calcutta. Avec le développement de la centralisation, nous assistons au spectacle d’une inégalité constamment croissante dans la condition des diverses fractions de la société ; nous voyons quelques hommes amassant leurs fortunes avec une extrême rapidité, en même temps que les chances de la guerre et du trafic tendent à priver de pain les classes pauvres de la société. C’est ainsi que furent amassées les immenses fortunes de Crassus et de Lucullus, à l’époque où le peuple de Rome était forcé de s’adresser au trésor pour subsister ; celle de Jacques Cœur, au moment où la France était presque entièrement dépeuplée ; celle du Vénitien millionnaire, qui l’emporta sur Carlo Zeno, son compétiteur, pour les fonctions de doge, pendant la guerre de la Chiozza, où Venise, grâce à ce dernier, échappa à une destruction complète[1], et celle des

  1. « Zeno seul survécut à cette guerre désastreuse et la voix publique le désignait