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nécessaire pour accomplir l’œuvre du transport ; en même temps qu’en empêchant les facultés latentes de l’homme de se développer, il réduisait le sujet de ses opérations à la condition d’une pure brute. C’est ainsi qu’on a vu le monde appelé à être témoin de l’extermination d’une immense population importée dans les îles anglaises de l’Amérique, de la paupérisation du peuple anglais, et de la découverte d’un système d’économie politique qui méconnaît les qualités distinctives de l’homme, ne reconnaissant que celles qu’il possède en commun avec le bœuf, le loup et le cheval.

La destruction de la vie et du bien-être à la Jamaïque et en Angleterre résultaient du pouvoir que le trafic s’était arrogé de dominer le commerce et de le taxer à son profit. L’habitant de la Jamaïque produisant beaucoup de sucre et l’Anglais produisant beaucoup de tissus, si tous deux avaient pu accomplir leurs échanges directement, ils auraient été tous deux bien nourris et bien vêtus ; mais dans l’opération de ces échanges une part si considérable se trouvait absorbée que l’un ne pouvait se procurer que peu de tissus et l’autre peu de sucre. De là l’idée de l’excès de population.

Cette idée ayant pris naissance parmi les économistes anglais et se trouvant être l’idée admise chez le peuple anglais, il est nécessaire, pour la réfuter, d’examiner l’histoire des diverses sociétés soumises au système britannique, dans le but de constater si celui-ci est réellement une loi de la nature, ou seulement une conséquence naturelle d’une politique qui tendait à séparer l’artisan de l’agriculteur et à créer un unique atelier pour tout l’univers. Le Portugal, la Turquie, l’Irlande et l’Inde ayant été les pays qui lui ont été particulièrement soumis, nous allons passer en revue tous ces états, pour constater jusqu’à quel point les phénomènes que nous y observerons correspondent avec ceux qui se sont révélés à la Jamaïque[1].

  1. On peut voir combien étaient différentes les bases sur lesquelles reposaient les systèmes coloniaux français et anglais, en considérant les faits suivants : 1° que Colbert accorda aux colons la liberté la plus complète en ce qui concernait la transformation de leurs produits bruts de toute espèce ; 2° que considérant leur dispersion comme tendant à amener l’état de barbarie, il leur interdit de s’occuper à recueillir des fourrures et des peaux ; 3° qu’il limita, autant que possible, l’exportation pour les colonies, des liqueurs fermentées ; et 4° qu’il s’intéressa lui-même, très-chaudement, à empêcher cette prostitution des esclaves du sexe féminin, si fréquente dans les colonies anglaises et qui est si honteuse pour les États-Unis. (Pour de plus amples renseignements sur le système colonial français, voyez l’ouvrage récemment publié par M. Joubleau. Etudes sur Colbert, liv. III, chap. iii.)