Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/139

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velles du département du Nord : l’industrie du sucre de betteraves y vit fort en alarmes, et l’on commence à croire que je pourrais la servir. On a raison ; nul ne connaît comme moi cette question-là ! »

J’eus tort de m’étonner de ce mot ; c’était celui de cette brillante génération tout entière, guettant l’heure de ses quarante ans. Depuis les historiens jusqu’aux poëtes, chacun se préoccupait alors des grands problèmes cachés dans un avenir dont on attendait tout, excepté des déceptions. M. Augustin Thierry écrivait ses Lettres sur l’histoire de France, afin d’élever, par l’évocation de ses origines, le cœur de la bourgeoisie à la hauteur des destinées qui lui étaient annoncées. M. Guizot exposait l’établissement du gouvernement représentatif en Angleterre, et faisait au fond l’histoire de la liberté en professant l’histoire générale de la civilisation.

Ces belles Leçons, publiées chaque semaine, associaient le pays tout entier au solide enseignement dispensé à la jeunesse par les plus grands esprits. Sur les bancs de la Sorbonne venaient s’asseoir, en se cachant à la manière de la bergère de Virgile, la plupart de nos illustrations parlementaires. M. Villemain, si exclusivement homme de lettres que l’eût créé la nature, se mettait, dans son Cours de littérature, à l’unisson, peut-être faudrait-il dire à la remorque de M. Guizot, pour ouvrir devant ses auditeurs l’enceinte du parlement d’Angleterre. La contagion politique n’avait point épargné le professeur de philosophie, qui, des hauteurs de l’abstraction ontologique, se trouva conduit