Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/141

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mennais, Lamartine, Victor Hugo, Casimir Delavigne, Martignac, Guizot, Cousin, Villemain, Augustin Thierry, Barante, Royer-Collard, Laplace, Biot, Ampère et Cuvier ! quel échec à la théorie des évolutions que les souvenirs de 1829 évoqués en 1870 ! Les laudatores temporis acti sont aujourd’hui de tous les âges, et le souvenir de ces jours si pleins est peut-être la plus cruelle de nos tortures, car tous vivaient alors, et tous survivent aujourd’hui !

Lorsque de pareils hommes pouvaient se rencontrer chaque jour à l’Institut ou dans les salons, Paris était à coup sûr le cerveau de l’Europe, l’expression et l’instrument de la civilisation générale. Ce temps-là était marqué au coin d’une grandeur morale qui fut moins sensible à l’époque suivante, malgré l’éclat des joutes oratoires, peut-être même à cause de cet éclat. La prédominance des convictions sur les calculs demeurera le caractère distinct de l’ère de la Restauration ; les diverses écoles conservèrent, en effet, durant cette remarquable période, la plénitude d’une foi politique, bientôt singulièrement affaiblie, pour les unes par leur défaite, pour les autres par leur victoire.

Il était un élégant petit salon où se reflétait sans pédantisme ce goût simultané des lettres et des affaires publiques d’où provenaient alors l’intérêt et le charme de la vie sociale, et j’y passai une partie des heures de liberté que me laissaient mes devoirs et mes études. C’était le salon de la marquise d’Aguesseau, fille du garde des sceaux Lamoignon et sœur de la présidente Mole. Quoique d’un grand âge, madame