Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/175

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la France, afin de calmer par son éloignement des appréhensions, pour lui si périlleuses, et qui prenaient surtout leur source dans sa résidence à Paris. Le succès de cette mauvaise plaisanterie fut beaucoup trop complet. Après une nuit de délire, notre cher maître boucla le lendemain matin ses malles pour passer en Suisse. Nous intervînmes au milieu de ces préparatifs, et force fut de confesser au plus vite nos torts, en invoquant le bénéfice des circonstances atténuantes que nous fournit la date du 1er avril, pour obtenir de sa facile bonté un pardon dont le mystificateur et ses imprudents complices sentirent tout le prix.

À peu près sans abonnés dans le clergé, dont il servait la cause avec une foi ferme et forte, le baron d’Eckstein était devenu, par l’attrait qu’inspirait sa personne et le respect qui s’attachait à ses vastes travaux, un centre d’attraction pour quelques jeunes chrétiens qui comprenaient comme lui l’œuvre des temps nouveaux dans la science et dans la politique. Plusieurs d’entre nous lui prêtaient un modeste concours pour sa tâche laborieuse. Ensevelis sous une montagne de livres sanskrits, allemands et anglais, corrigeant un jour l’épreuve d’un travail sur les Védas, le lendemain mettant dans un français plus correct un article sur Victor Hugo ou bien une chronique parlementaire ; perdus dans une broussaille de textes et de citations enchevêtrés comme les lianes d’une forêt vierge, nous nous comparions aux utiles quadrupèdes qui vont flairant et déterrant les truffes dans les bois du Périgord.