Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

durant la première période de la restauration, s’opéraient par toute la France. Depuis vingt ans, surtout, nous avons contracté une si juste habitude du mépris, que nous éprouvons une sorte d’impossibilité à nous élever jusqu’à la haine.

Dix-huit mois s’étaient écoulés dans cette éducation spontanée : et cette vie de labeurs décousus avait plus profité, comme on le pense bien, au développement de mon intelligence qu’à celui de mon instruction proprement dite. Une antipathie invincible pour les sciences mathématiques me détourna de l’École militaire, malgré le vœu de ma famille, et je pris la résolution fort sensée de faire mon droit. L’admission à l’école étant alors subordonnée à certaines conditions d’études universitaires, je suivis bravement comme externe, sans consulter mon oncle, que cela aurait d’ailleurs fort peu touché, le cours de philosophie du collège Louis-le-Grand. Cette année fut la plus laborieuse de ma vie : consacrée à reprendre en sous-œuvre l’édifice entier d’un enseignement classique des plus insuffisants, elle fut terminée par des succès au concours général, dont la mention au Moniteur surprit beaucoup les régents du collège de Quimper qui avaient prononcé contre moi, et ce n’était pas sans raison, plus d’un arrêt tenu pour définitif.

Le temps du droit est le meilleur de la vie. Revêtu de la robe prétexte, le jeune homme, dans la plénitude de sa liberté enfin conquise, s’aventure en ce monde inconnu ouvert devant lui, comme l’oiseau qui use de ses jeunes ailes pour se perdre dans les profondeurs