Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/38

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que la fine fleur des journaux monarchiques. Pour que ce système d’éducation pût obtenir quelque succès, il aurait fallu pouvoir séparer la jeunesse du milieu dans lequel elle était appelée à vivre. Ses fondateurs avaient oublié que le jardin du Luxembourg se trouvait à deux pas de l’Estrapade, et que, pour cinq centimes, les étudiants, peu flattés d’une tutelle politique maladroitement étalée, ne manqueraient point, dans leurs promenades journalières, de lire les feuilles de l’opposition, plaisir qu’ils prenaient, en effet, avec l’avidité toujours provoquée par le fruit défendu. Bien moins heureux dans leur blocus que ne l’ont été les Prussiens, les directeurs de l’établissement des Bonnes Études voyaient chaque jour la contrebande des journaux et des livres s’opérer sur la plus vaste échelle, et les idées de la jeunesse se transformer avec une rapidité fort alarmante. Des signes trop certains signalaient le progrès d’influences contre lesquelles le régime préventif n’avait pas prévalu, et chaque jour était marqué par les plus amères déceptions.

Les conférences littéraires avaient commencé par des lectures sur les gloires de la vieille monarchie ; on y avait entendu des élégies nombreuses sur les malheurs de la famille royale, dont l’une, l’Ode à Louis XVII, était l’œuvre d’un inconnu à la veille de s’appeler Victor Hugo. Mais ces conférences ne tardèrent pas à accueillir des dissertations politiques dont s’émurent singulièrement les pères de famille qui avaient cru pouvoir protéger contre tout contact suspect la virginité intellectuelle de leurs enfants. Ce ne