Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/47

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Avec une organisation moins impressionnable, M. de Serre, garde des sceaux dans le ministère de M. Decazes, était également combattu entre ses traditions d’émigré, qui lui faisaient voir avec faveur les tentatives de la droite pour reconstituer aristocratiquement la société française, et les inspirations de son grand sens politique qui lui révélaient la périlleuse inefficacité de pareilles conceptions : douloureuses perplexités qui hâtèrent le terme de sa vie.

Dans la belle discussion provoquée par les pétitions adressées à la Chambre pour obtenir le rappel des proscrits de 1815, je le vois encore, revêtu de la simarre qu’il portait si noblement, monter avec effort les marches de la tribune déjà prête à se dérober sous ses pieds. Il commença par mettre en regard de la longue série d’attentats commis contre la royauté légitime l’inépuisable clémence du prince, prescrivant aux tribunaux comme aux citoyens l’oubli qu’il pratiquait lui-même ; puis il fit entrevoir comme prochains de nouveaux témoignages de cette clémence inépuisable. Mais, lorsque des murmures partis des bancs occupés par les vieux serviteurs de la monarchie eurent fait croire au ministre qu’on donnait, dans cette partie de la Chambre, une extension sans limites à sa pensée, il sembla se redresser tout à coup comme saisi d’effroi au souvenir de la grande immolation juridique consommée en face du palais où retentissait sa voix puissante, et nul de ceux qui l’entendirent ce jour-là n’a pu oublier son attitude, lorsqu’avec un geste souverain il prononça le mot fameux : « Pour les régicides,