Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/58

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systématique des écrivains et le plus impérieux des chefs d’école.

Marion Delorme signala la première agression dirigée contre l’ordre social par un poëte qui se crut, presque au début de sa carrière, appelé à réformer les institutions comme les idées, et dont le cerveau était trop faible pour supporter la dangereuse épreuve d’une gloire bruyante. La censure repoussa de la scène ce premier essai de réhabilitation émané du poëte réformateur, qui continua bientôt, dans l’intérêt de toutes les victimes de l’opinion et des lois, la croisade commencée dans l’intérêt d’une prostituée. L’Académie française, dont le public n’admit pas le complet désintéressement dans cette affaire, conseilla au pouvoir, comme elle aurait pu le faire au temps de son fondateur, d’appliquer le même ostracisme à Hernani, et cette inspiration regrettable de quelques vieux poëtes dont Talma n’était plus là pour galvaniser les œuvres, valut au roi Charles X une dernière heure de popularité, car elle fournit à ce prince l’occasion de dire, avec sa bonne grâce habituelle, que, dans les questions de cette nature, on n’avait qu’un seul droit, celui de payer sa place pour applaudir ou pour siffler.

La représentation de Hernani marque, après celle du Mariage de Figaro, la date plus significative dans l’histoire des lettres et de la pensée publique en France. Dans la salle, où s’échangeaient les provocations et les défis entre spectateurs fanatisés, l’atmosphère était comme imprégnée de fluide révolutionnaire. Les cris : À bas Racine ! étaient proférés du ton dont on aurait