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les quatre fils aymon

sentir atteinte. Qui n’eût exécré le leude frank qui avait donné son concours au crime ? Le guet-apens tendu à Chlodovig soulevait l’indignation. Nous ignorons quelle forme prit d’abord le sentiment populaire, comment l’on cessa de compromettre le nom de la reine dans l’abominable affaire, et l’on se borna à flétrir le roi et les traîtres qui avaient été employés ; le récit lui-même de Grégoire de Tours est déjà fort empreint des caractères de la légende. Plus tard, quand l’épopée se constitua autour du grand nom de Charlemagne, quand régnèrent les mœurs féodales, l’imagination des trouvères créa un cadre dramatique, conforme pour l’ordre des faits aux habitudes de son temps, où du vieux récit subsistent seulement l’atrocité des actes et le souvenir d’un roi cruel et bas et de son entourage de meurtriers. Sous le Charlemagne du Beuves d’Aigremont et par suite des Fils Aymon, l’on retrouve ainsi l’odieux Chilpéric[1]. Ainsi s’explique le désaccord persistant que l’on remarque entre Charles et ses barons, ainsi l’on assiste en quelque sorte à la naissance de la Geste des traîtres. La mort de Beuves par le fait de Chilpéric, n’était point donnée par l’histoire, mais il était naturel de la lui imputer comme un acte de vengeance, déloyal dans sa forme, suggéré par des traîtres, excusable du moins dans son motif. Charles se déshonore en autorisant la violation de la foi jurée, mais sa faute a son origine dans l’excès d’un ressentiment légitime. Tout le reste, dans le vieux poème, paraît de prime-abord amplification

  1. M. Rajna, parlant du personnage de Charlemagne dans le Roland, explique très bien qu’il dérive d’une conception antérieure à l’histoire des rois mérovingiens et conclut : « En résumé, c’est le roi ou le prince de la tribu antique que nous avons ici devant nous ; ce qui revient à dire que nous nous trouvons en présence d’un roi de tradition épique. C’est par la voie des poèmes que l’image s’est ainsi perpétuée, car l’épopée, héritière comme elle l’est toujours, d’un long passé, et traditionnelle par excellence, si elle teint les âges les plus lointains des couleurs du présent, quand elle représente le présent, le mêle souvent d’éléments fournis par les âges passés. » Origini dell’Epopea francese, p. 400-401. Il s’agit surtout des conditions dans lesquelles le pouvoir du roi s’exerce. On peut également admettre que le type du roi se soit diversement modifié suivant le caractère individuel des rois que la poésie rencontrait sur sa route. Il y a un abîme entre le noble Charlemagne du Roland et le roi des Fils Aymon.