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les quatre fils aymon

originelle : Gondovald n’est pas un homme fait pour la lutte à outrance, il n’inspire que la compassion.

Quel est enfin ce « droit » auquel Renaud et ses frères font toujours appel et que les Pairs de Charlemagne leur reconnaissent ? La mort de Lohier et celle de Beuves sont des antécédents trop lointains, et dans le cas du meurtre de Bertolais, le droit de Renaud est contesté dans le poème lui-même. Derrière cette revendication, il y a une réclamation de nature positive, celle du fils de Clotaire demandant à être reconnu dans le rang que lui confère sa naissance. Derrière les Pairs, il y a les leudes d’Austrasie, partisans déclarés ou secrets de Gondovald.

Ces diverses concordances me paraissent concluantes, et si elles n’entraînent pas d’abord la conviction, cela tient à la difficulté elle-même du problème posé. Il n’était pas vraisemblable que la légende et les trouvères eussent négligé l’histoire troublée et dramatique des fils de Clotaire Ier. Augustin Thierry l’a fait revivre dans ses admirables Récits, qui ne la comprennent pas tout entière, mais qui font ressortir la valeur poétique des éléments rassemblés par Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs : « Tout ce que la conquête de la Gaule avait mis en regard ou en opposition sur le même sol, les races, les classes, les conditions diverses, figure pêle-mêle dans ses récits, quelquefois plaisants, souvent tragiques, toujours vrais et animés. C’est comme une galerie mal arrangée de tableaux et de figures en relief ; ce sont de vieux chants nationaux, écourtés, semés sans liaison, mais capables de s’ordonner ensemble et de former un poème, si ce mot, dont nous abusons trop aujourd’hui, peut être appliqué à l’histoire[1]. »

  1. Récits mérovingiens, Préface. M. Kurth dit : « Augustin Thierry, qui a renouvelé en France l’étude de l’époque mérovingienne, a passé, lui aussi, devant la question sans la voir. » Et il renvoie en note à la préface d’où j’ai tiré la citation ci-dessus. Les termes de chants nationaux me semblent pourtant assez clairs. V. Kurth Histoire poétique des mérovingiens, p. 16. La tâche de Thierry, telle qu’il l’avait comprise, a rempli sa vie et épuisé ses forces. Cet illustre historien était en même temps un écrivain excellent. Pourquoi s’étonner qu’il n’ait pas fait plus ? À la fin de cette préface datée du 25 février 1840, on voit qu’il se faisait lire la belle page des Martyrs, qui avait si fortement ému sa jeune âme de collégien. Il a fini comme Milton.