Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/12

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vait produit la défroque du Français, ils achetèrent tout leur bagage. Au bout de deux heures, ils auraient pu être gradués dans ce nouveau métier, tant ils portaient galamment et sans embarras les paniers et le sac. Leur guide les instruisit des endroits où ils devaient se tenir : le matin, à la boucherie et au marché San-Salvador ; les jours maigres, à la poissonnerie ; toutes les après-midi sur le quai, et les jeudis à la foire.

Ils retinrent bien par cœur toute cette leçon, et le lendemain, de grand matin, ils se plantèrent au milieu de la place San-Salvador. À peine furent-ils arrivés là, qu’ils se virent entourés par d’autres portefaix qui reconnurent aisément, à ce que les paniers et les sacs étaient tout neufs, que c’étaient deux apprentis dans le métier. Aux mille questions qui leur furent adressées, ceux-ci répondirent avec justesse et complaisance. Sur ces entrefaites, arrivèrent une espèce d’étudiant et un soldat, qui furent alléchés par la propreté des paniers neufs que portaient les deux novices. L’étudiant appela Cortado, et le soldat Rincon. « Que ce soit au nom de Dieu[1], dirent-ils tous deux à la fois ; — et que le métier tourne bien, ajouta Rincon, car votre grâce m’étrenne, mon bon seigneur. — L’étrenne ne sera pas mauvaise, répondit le soldat ; hier, au jeu, j’étais en veine, et je suis amoureux, de façon qu’aujourd’hui je régale d’un festin les amies de ma dame. — Eh bien ! reprit Rincon, que votre grâce me charge à sa fantaisie. J’ai des forces et du courage pour emporter sur mon

  1. Formule usitée quand on fait une chose pour la première fois.