Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/45

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et frappés rapidement par les deux bouts, faisaient l’accompagnement de la pantoufle et du balai. Rinconète et Cortadillo s’émerveillèrent de la nouvelle invention du balai, car jusqu’alors ils n’avaient rien vu de semblable. Monipodio s’en aperçut, et leur dit : « Le balai vous étonne ? Eh bien ! vous avez raison d’être étonnés, car jamais musique plus commode, plus expéditive et moins coûteuse ne s’est inventée en ce monde. En vérité, j’ai ouï dire l’autre jour à un étudiant que ni l’Orfèvre qui tira son Insipide de l’enfer, ni le Marion qui monta sur un dauphin et sortit de la mer comme s’il fût venu à cheval sur une mule de louage, ni cet autre grand musicien qui bâtit une ville qui avait cent portes et autant de poternes, n’inventèrent jamais un genre d’instrument aussi facile à déprendre, aussi commode à jouer, et qui eût moins de touches, de chevilles, de cordes, et moins besoin d’être accordé. Et même, vive Dieu ! on dit qu’il fut inventé par un galant de cette ville, qui se pique d’être un Hector en fait de musique. — Je le crois vraiment bien, répondit Rinconète ; mais écoutons un peu ce que vont chanter nos musiciens, car il paraît que la Gananciosa crache ; c’est signe qu’elle veut chanter. »

En effet, elle s’y préparait, parce que Monipodio l’avait priée de chanter quelques seguidillas, de celles qui étaient à la mode. Mais celle qui mit en train fut la Escalanta, laquelle commença d’une voix grêle et chétive :

« Pour un Sévillien, roux à la flamande, j’ai tout le cœur flambé. »

La Gananciosa continua en chantant :