Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/607

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oreilles. À ce bruit, qui annonçait le voisinage d’un troupeau, nous regardâmes attentivement si quelqu’un se montrait, et nous aperçûmes, au pied d’un liége, un jeune pâtre qui s’amusait paisiblement à tailler un bâton avec son couteau. Nous l’appelâmes, et lui, tournant la tête, se leva d’un seul bond. Mais, à ce que nous sûmes depuis, les premiers qu’il aperçut furent Zoraïde et le renégat, et comme il les vit en habits moresques, il crut que tous les Mores de la Berbérie étaient à ses trousses. Se sauvant donc de toute la vitesse de ses jambes à travers le bois, il se mit à crier à tue-tête : « Aux Mores, aux Mores ! Les Mores sont dans le pays. Aux Mores ! aux armes, aux armes ! » À ces cris, nous demeurâmes tous fort déconcertés, et nous ne savions que faire ; mais, considérant que le pâtre, en criant de la sorte, allait répandre l’alarme dans le pays, et que la cavalerie garde-côte viendrait bientôt nous reconnaître, nous fîmes ôter au renégat ses vêtements turcs, et il mit une veste ou casaque de captif, qu’un des nôtres lui donna, restant les bras en chemise ; puis, après nous être recommandés à Dieu, nous suivîmes le même chemin qu’avait pris le berger, attendant que la cavalerie de la côte vînt fondre sur nous. Notre pensée ne nous trompa point : deux heures ne s’étaient pas encore écoulées, lorsqu’en débouchant des broussailles dans la plaine, nous découvrîmes une cinquantaine de cavaliers qui venaient au grand trot à notre rencontre. Dès que nous les aperçûmes, nous fîmes halte pour les attendre. Quand ils furent arrivés, et qu’au lieu de Mores qu’ils cherchaient, ils virent tant de pauvres chré-