Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/337

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un livre simple et persuasif ce que nombre d’années m’ont fait mûrir de réflexions sur ces matières.

Mais quand j’y ai regardé de bien près, j’ai trouvé que ces vérités-ci ne sont pas moins périlleuses et moins odieuses que les autres ; car dans nos définitions des diverses manières du bien et du mal écrire, il ne se peut guère que beaucoup de mauvais écrivains ne se croient désignés ; et les lecteurs qui sont auteurs ou qui ont des amis auteurs, n’approuvent dans vos préceptes que ce qu’eux ou leurs amis ont fait ou peuvent faire. Tout le reste ou les blesse comme au-dessus d’eux, ou les fait rire comme folle vision ; et, en outre, quand vous posez comme il convient, la fierté de l’âme et la liberté de la pensée pour les seuls fondements des bonnes lettres, tous ceux dont la vie et les écrits sont bas et serviles, et tous ceux aussi qui les paient pour cet avilissement, haïssent un auteur dont ils se sentent méprisés : ainsi, quoi qu’on fasse, le vrai, souvent inutile, produit sûrement des ennemis. J’ai cru cependant pouvoir me fier à la conscience que l’intention de profiter à tous, sans nuire à personne, se fera voir assez dans la naïve simplicité de cet écrit, et me donne droit de l’entreprendre : sûr de n’avoir jamais ni la richesse au prix de la liberté, ni l’amitié ou la familiarité des princes et des grands, ni les éloges privés, ni l’association à aucun musée ou académie, ou autre confrérie savante, ni enfin aucune espèce de récompense royale ou littéraire ; déterminé à ne point vivre partout où la pensée ne sera point libre ; à ne connaître de guide que la raison, de maître que la justice, et de protecteur que