Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/109

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Si septembre, cédant au long mois qui le suit,
Marquait de froids zéphirs l’approche de la nuit,
Dans ses flancs colorés une luisante argile
Garderait sous mon toit un feu lent et tranquille,
Ou, brûlant sur la cendre à la fuite du jour,
Un mélèze odorant attendrait mon retour.
Une rustique épouse et soigneuse et zélée.
Blanche (car sous l’ombrage au sein de la vallée
Les fureurs du soleil n’osent les outrager),
M’offrirait le doux miel, les fruits de mon verger,
Le lait, enfant des sels de ma prairie humide,
Tantôt breuvage pur et tantôt mets solide,
En un globe fondant sous ses mains épaissi,
En disque savoureux à la longue durci ;
Et cependant sa voix simple et douce et légère
Me chanterait les airs que lui chantait sa mère.

Hélas ! aux lieux amers où je suis enchaîné,
Ce repos à mes jours ne fut point destiné.
J’irai : Je veux jamais ne revoir ce rivage.
Je veux, accompagné de ma muse sauvage.
Revoir le Rhin tomber en des gouffres profonds,
Et le Rhône grondant sous d’immenses glaçons,
Et d’Arve aux flots impurs la nymphe injurieuse.
Je vole, je parcours la cime harmonieuse
Où souvent de leurs cieux les anges descendus,
En des nuages d’or mollement suspendus.
Emplissent l’air des sons de leur voix éthérée.
Ô lac, fils des torrents ! ô Thun, onde sacrée !
Salut, monts chevelus, verts et sombres remparts
Qui contenez ses flots pressés de toutes parts !
Salut, de la nature admirables caprices.
Où les bois, les cités, pendent en précipices !
Je veux, je veux courir sur vos sommets touffus ;
Je veux, jouet errant de vos sentiers confus,
Foulant de vos rochers la mousse insidieuse.
Suivre de mes chevreaux la trace hasardeuse ;
Et toi, grotte escarpée et voisine des cieux,
Qui d’un ami des saints fus l’asile pieux,
Voûte obscure où s’étend et chemine en silence