Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/130

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Que vos yeux auraient vu tracé dans leurs ouvrages.
Mais qui jamais a su, dans des vers séduisants,
Sous des dehors plus vrais peindre l’esprit aux sens ?
Mais quelle voix jamais d’une plus pure flamme
Et chatouilla l’oreille et pénétra dans l’âme ?
Mais leurs mœurs et leurs lois, et mille autres hasards,
Rendaient leur siècle heureux plus propice aux beaux-arts.
Eh bien ! l’âme est partout ; la pensée a des ailes.
Volons, volons chez eux retrouver leurs modèles ;
Voyageons dans leur âge, où, libre, sans détour,
Chaque homme ose être un homme et penser au grand jour.
Au tribunal de Mars, sur la pourpre romaine,
Là du grand Cicéron la vertueuse haine
Écrase Céthégus, Catilina, Verrès ;
Là tonne Démosthène ; ici de Périclès
La voix, l’ardente voix, de tous les cœurs maîtresse.
Frappe, foudroie, agite, épouvante la Grèce.
Allons voir la grandeur et l’éclat de leurs jeux.
Ciel ! la mer appelée en un bassin pompeux !
Deux flottes parcourant cette enceinte profonde.
Combattant sous les yeux du conquérant du monde !
Ô terre de Pélops ! avec le monde entier
Allons voir d’Épidaure un agile coursier,
Couronné dans les champs de Némée et d’Élide ;
Allons voir au théâtre, aux accents d’Euripide,
D’une sainte folie un peuple furieux
Chanter : Amour, tyran des hommes et des dieux ;
Puis, ivres des transports qui nous viennent surprendre,
Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre ;
Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs ;
Pour peindre notre idée empruntons leurs couleurs ;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Direz-vous qu’un objet né sur leur Hélicon
A seul de nous charmer pu recevoir le don ?
Que leurs fables, leurs dieux, ces mensonges futiles,
Des Muses noble ouvrage, aux Muses sont utiles ?
Que nos travaux savants, nos calculs studieux,
Qui subjuguent l’esprit et répugnent aux yeux,