Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/150

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L’oppresseur, évitant d’armer d’injustes plaintes,
Sinon quelque pudeur, aurait eu quelques craintes ;
Le délateur impie, opprimé par la faim,
Serait mort dans l’opprobre, et tant d’hommes enfin,
À l’insu de nos lois, à l’insu du vulgaire.
Foudroyés sous les coups d’un pouvoir arbitraire,
De cris non entendus, de funèbres sanglots,
Ne feraient point gémir les voûtes des cachots.

Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile !
J’irai, j’irai bien loin me chercher un asile.
Un asile à ma vie en son paisible cours,
Une tombe à ma cendre à la fin de mes jours.
Où d’un grand au cœur dur l’opulence homicide
Du sang d’un peuple entier ne sera point avide,
Et ne me dira point, avec un rire affreux,
Qu’ils se plaignent sans cesse et qu’ils sont trop heureux ;
Où, loin des ravisseurs, la main cultivatrice
Recueillera les dons d’une terre propice ;
Où mon cœur, respirant sous un ciel étranger,
Ne verra plus des maux qu’il ne peut soulager ;
Où mes yeux, éloignés des publiques misères,
Ne verront plus partout les larmes de mes frères,
Et la pâle indigence à la mourante voix.
Et les crimes puissants qui font trembler les lois.

Toi donc, Équité sainte, ô toi, vierge adorée.
De nos tristes climats pour longtemps ignorée,
Daigne du haut des cieux goûter le libre encens
D’une lyre au cœur chaste, aux transports innocents,
Qui ne saura jamais, par des vœux mercenaires.
Flatter, à prix d’argent, des faveurs arbitraires.
Mais qui rendra toujours, par amour et par choix,
Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois.
De vœux pour les humains tous ses chants retentissent :
La vérité l’enflamme, et ses cordes frémissent
Quand l’air qui l’environne auprès d’elle a porté
Le doux nom des vertus et de la liberté.