Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/84

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Que vos agneaux du moins viennent près de ma cendre
Me bêler les accents de leur voix douce et tendre,
Et paître au pied d’un roc où d’un son enchanteur
La flûte parlera sous les doigts du pasteur.
Qu’au retour du printemps, dépouillant la prairie.
Des dons du villageois ma tombe soit fleurie ;
Puis d’une brebis mère et docile à sa main
En un vase d’argile il pressera le sein ;
Et sera chaque jour d’un lait pur arrosée
La pierre en ce tombeau sur mes mânes posée.
Morts et vivants, il est encor pour nous unir
Un commerce d’amour et de doux souvenir.
C’est en songe que la jeune Mnaïs est venue leur dire cela.

(Trad. de Léonidas de Tarente.)


XXXIV

LES JARDINS


 
Secrets observateurs, leur studieuse main
En des vases d’argile et de verre et d’airain
Enferme la nature et les riches campagnes.
Ce sont là leurs vallons, leurs forêts, leurs montagnes.
Barbares possesseurs, Procustes furieux,
Sous le niveau jaloux leur fer injurieux
Mutile sans pitié les plaintives dryades.
Le plomb, les murs de pierre enchaînant les naïades,
De bassins en bassins, de degrés en degrés,
Guident leur chute esclave et leurs pas mesurés,
Là, quelle muse libre et naïve et fidèle
Peut naître ? Loin du bois, comme si Philomèle,
Sous leurs treillages peints dont la main du sculpteur
À ciselé l’acanthe ou le lierre imposteur,
Allait chercher ces sons dont le printemps s’honore,
Délices de la nuit, délices de l’aurore !