Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/91

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Qu’à votre belle vie ainsi ma mort obtienne
Tout l’âge, tous les biens dérobés à la mienne ;
Que jamais les douleurs, par de cruels combats,
N’allument dans vos flancs un pénible trépas ;
Que la joie en vos cœurs ignore les alarmes ;
Que les peines d’autrui causent seules vos larmes ;
Que vos heureux destins, les délices du ciel.
Coulent toujours trempés d’ambroisie et de miel,
Et non sans quelque amour paisible et mutuelle ;
Et quand la mort viendra, qu’une amante fidèle.
Près de vous désolée, en accusant les dieux.
Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux.


IV

AU CHEVALIER DE PANGE


Quand la feuille en festons a couronné les bois.
L’amoureux rossignol n’étouffe point sa voix.
Il serait criminel aux yeux de la nature
Si, de ses dons heureux négligeant la culture,
Sur son triste rameau, muet dans ses amours,
Il laissait sans chanter expirer les beaux jours.
Et toi, rebelle aux dons d’une si tendre mère.
Dégoûté de poursuivre une muse étrangère
Dont tu choisis la cour trop bruyante pour toi.
Tu t’es fait du silence une coupable loi !
Tu naquis rossignol. Pourquoi, loin du bocage
Où des jeunes rosiers le balsamique ombrage
Eût redit tes doux sons sans murmure écoutés,
T’en allais-tu chercher la muse des cités,
Cette muse, d’éclat, de pourpre environnée,
Qui, le glaive à la main, du diadème ornée.
Vient au peuple assemblé, d’une dolente voix.
Pleurer les grands malheurs, les empires, les rois ?
Que n’étais-tu fidèle à ces muses tranquilles
Qui cherchent la fraîcheur des rustiques asiles,
Le front ceint de lilas et de jasmins nouveaux.
Et vont sur leurs attraits consulter les ruisseaux. ?