Page:Chair molle.djvu/165

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se fût égarée, elle recompta l’argent plusieurs fois. Elle pensa qu’on lui avait donné une sale corvée, dont on aurait bien pu charger Dosia. Mais, ayant réfléchi qu’elle avait acquis la confiance des deux hommes elle fut bientôt très flattée, heureuse de surpasser son amie en quelque point.

Non, décidément, elle n’irait pas à Dunkerque ; son obéissance justifierait cette confiance qu’on lui montrait ; elle suivrait les conseils de Charles, resterait à Arras, bien sage, sans bouger. Après tout, ce n’était qu’une affaire de vingt jours, au plus. Elle pouvait attendre. Et puis, c’était la promesse d’un libre repos ; et, souriante, elle confessa qu’elle en avait grand besoin. Une dernière fois, elle se remit à la fenêtre. Les sons de la musique s’éteignaient ; elle percevait encore les roulements des tambours, la cadence des pas. À l’entrée de la rue, elle vit le dos arrondi du major, coupé d’une bandoulière rouge, la croupe de son cheval que la queue balayait. Elle suivit le cahotement des voitures régimentaires, aux bâches vertes tremblotantes ; et la place se vida, reprit un air morne, ensommeillé. Mêlée aux derniers bruits lointains du régiment en marche, une rumeur murmurante montait lentement dans la ville.

Lucie Thirache se recoucha, dormit toute la journée.