Page:Challamel - Souvenirs d’un hugolâtre.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui les copiaient, les signaient, et faisaient croire à leurs belles que la passion les leur avait inspirées.

Car, en ce temps, tout le monde se piquait de poésie, et déjà plus d’un commerçant était vraiment lettré, capable d’apprécier les productions de la haute littérature.

Le dimanche, après la fermeture du magasin, mon ami Rigot et moi nous dînions à trente-deux sous par tête, et nous allions au boulevard du Temple pour y chercher des émotions violentes.

Si la Gaîté jouait dix actes de drame seulement, nous nous rabattions sur l’Ambigu qui en jouait onze, et, au besoin, sur la Porte-Saint-Martin qui en jouait douze. Les heures de queue ne nous effrayaient pas, et nous oubliions de dîner lorsque nous avions la bonne fortune de pouvoir applaudir Frédérick-Lemaître, à qui nous donnions le nom de « Talma du boulevard », ou Mme Dorval interprétant, en compagnie de ce grand comédien, le mélodrame de Trente ans, ou la vie d’un joueur, demeuré typique au théâtre.

Autant de pris sur l’ennemi, me disais-je, à la fin de la soirée. Et le lendemain, en plaçant les serges à l’aide de longues perches, ou en bâtissant mes étalages, ou en servant les pratiques