Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/28

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le persécuter ; mais elle respectait un peu moins des préjugés combattus avec succès, à peu près comme le superstitieux qui, malgré lui, sent diminuer sa vénération pour l’idole qu’il voit outrager impunément : le goût des connaissances rapprochait des conditions jusqu’alors séparées. Dans cette crise, les mœurs et les manières anciennes contrastaient avec les lumières nouvelles ; et le caractère national, formé par des siècles de barbarie, cessait de s’assortir avec l’esprit nouveau qui se répandait de jour en jour. Molière s’efforça de concilier l’un et l’autre. L’humeur sauvage des pères et des époux, la vertu des femmes qui tenait un peu de la pruderie, le savoir défiguré par le pédantisme, gênaient l’esprit de société qui devenait celui de la nation ; les médecins, également attachés à leurs robes, à leur latin et aux principes d’Aristote, méritaient presque tous l’éloge que M. Diafoirus donne à son fils, de combattre les vérités les plus démontrées ; le mélange ridicule de l’ancienne barbarie et du faux bel-esprit moderne avait produit le jargon des précieuses ; l’ascendant prodigieux de la cour sur la ville avait multiplié les airs, les prétentions, la fausse importance dans tous les ordres de l’état, et jusque dans la bourgeoisie : tous ces travers et plusieurs autres se présentaient avec une franchise et une bonne foi très-commode pour le poète comique : la société n’était point encore une arène où l’on se mesurât