Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/328

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sion violente : il peut laisser échapper subitement un morceau plein de sensibilité ; il peut même concevoir un plan rempli de chaleur ; mais il a besoin de la méditation pour présider à l’ordonnance des parties, et les diriger à un but moral ; il a pu fournir à Molière l’idée de la cassette ; mais il a été secondé par de profondes réflexions, lorsqu’il a compromis un père avare usurier, avec un fils libertin qui emprunte à un intérêt ruineux. Je vois le doigt de la philosophie empreint sur chaque vers du Tartuffe et du Misantrope. Ne croyons pas que cette habitude de réfléchir puisse jamais refroidir un poète. Elle trace au contraire, dans son imagination, l’image d’un beau idéal qui le dirige à son insu, même dans la chaleur de sa composition. Un philosophe pourrait donc composer un nouvel Art poétique, dans lequel il remonterait aux sources de l’intérêt et du comique, où il approfondirait l’art de tracer les caractères, où il ferait voir les progrès que cet art a faits, et où il pourrait donner la solution de plusieurs problèmes littéraires. On peut assurer à celui qui exécuterait cet ouvrage, un très-grand succès, dont l’auteur ne serait jamais témoin. Mais s’il se trouvait un homme digne de l’entreprendre, il est à croire que cette dernière réflexion ne serait point capable de l’arrêter.


FIN DE LA DISSERTATION SUR L’IMITATION DE LA NATURE.