Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/34

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était une figure vraiment théâtrale ; et dans ce sens le sage de la Grèce était le poète comique des honnêtes gens, Aristophane n’était que le bouffon du peuple. Combien de traits dignes de la scène dans Horace et dans Lucien ! Et Pétrone, lorsqu’il représente l’opulent et voluptueux Trimalcion entendant parler d’un pauvre et demandant : Qu’est-ce qu’un pauvre ? La comédie, au-moins celle d’intrigue, existait dans Bocace ; et Molière en donna la preuve aux Italiens. Elle existait dans Michel Cervante, qui eut la gloire de combattre et de vaincre un ridicule dont le théâtre espagnol aurait dû faire justice. Elle existait dans la gaîté souvent grossière, mais toujours naïve, de Rabelais et de Verville, dans quelques traits piquans de la Satire Ménipée, et surtout dans les Lettres provinciales. Parvenu à connaître toutes les ressources de son art, Molière conçut quel pouvait en être le chef-d’œuvre. Qu’est-ce en effet qu’une bonne comédie ? C’est la représentation naïve d’une action plaisante, où le poète, sous l’apparence d’un arrangement facile et naturel, cache les combinaisons les plus profondes ; fait marcher de front, d’une manière comique, le développement de son sujet et celui de ses caractères mis dans tout leur jour par leur mélange, et par leur contraste avec les situations ; promenant le spectateur de surprise en surprise ; lui donnant beaucoup et lui promettant davantage ; faisant servir chaque incident, quelquefois chaque mot, à nouer ou à dénouer ; produisant avec un