Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/447

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écrivains de politique, de législation, même de morale, étaient d’une humeur triste, mélancolique, etc. Rien de plus simple : les uns étudient la nature, les autres la société ; les uns contemplent l’ouvrage du grand Être, les autres arrêtent leurs regards sur l’ouvrage de l’homme. Les résultats doivent être différens.

— Si l’on examinait avec soin l’assemblage de qualités rares de l’esprit et de l’âme qu’il faut pour juger, sentir et apprécier les bons vers, le tact, la délicatesse des organes, de l’oreille et de l’intelligence, etc., on se convaincrait que, malgré les prétentions de toutes les classes de la société à juger les ouvrages d’agrément, les poètes ont dans le fait encore moins de vrais juges que les géomètres. Alors les poètes, comptant le public pour rien, et ne s’occupant que des connaisseurs, feraient, à l’égard de leurs ouvrages, ce que le fameux mathématicien Viete faisait à l’égard des siens, dans un temps où l’étude des mathématiques était moins répandue qu’aujourd’hui. Il n’en tirait qu’un petit nombre d’exemplaires, qu’il faisait distribuer à ceux qui pouvaient l’entendre et jouir de son livre ou s’en aider. Quant aux autres, il n’y pensait pas. Mais Viete était riche, et la plupart des poètes sont pauvres. Puis un géomètre a peut-être moins de vanité qu’un poète ; ou, s’il en a autant, il doit la calculer mieux.

— Il y a des hommes chez qui l’esprit (cet instrument applicable à tout) n’est qu’un talent,