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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/8

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J’extrairai de la correspondance entre J. E. Hitzig, Fouqué et moi, imprimée en tête des éditions allemandes, quelques notices sur l’auteur et le manuscrit dont il m’avait rendu dépositaire.

J’ai connu Pierre Schlémihl en 1804 à Berlin. C’était un grand jeune homme gauche sans être maladroit, inerte sans être paresseux, le plus souvent renfermé en lui-même, sans paraître s’inquiéter de ce qui se passait autour de lui, inoffensif, mais sans égard pour les convenances, et toujours vêtu d’une vieille kurtke noire râpée, qui avait fait dire de lui qu’il devrait s’estimer heureux si son âme partageait à demi l’immortalité de sa casaque. Il était habituellement en butte aux sarcasmes de nos amis ; cependant, je l’avais pris en affection, moi : plusieurs traits de ressemblance avaient établi un attrait mutuel entre nous.

J’habitais, en 1813, à la campagne, près de Berlin, et, séparé de Schlémihl par les événements, je l’avais depuis long-temps perdu de vue, lorsqu’un matin brumeux d’automne, ayant dormi tard, j’appris à mon réveil qu’un homme à longue barbe, vêtu d’une vieille kurtke noire râpée et portant des pantoufles par dessus ses bottes, s’était