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exclusivement. Du reste, l’Ibis représentait convenablement le plus sage et le plus savant des dieux, s’il est vrai, comme le disaient les Égyptiens, que les ibis marchent d’une manière grave et posée, comme une jeune vierge, ne cheminant que pas à pas[1].

C’est principalement la première espèce d’ibis, l’ibis blanc, qui fut vénérée et nourrie avec soin par l’Égypte entière : c’est celle, du moins, dont l’image est la plus fréquente dans les peintures et les sculptures de style égyptien. Presque toutes les momies d’ibis, ouvertes et observées avec soin, ne présentent que l’espèce blanche ; d’où il résulte que l’ibis blanc était l’oiseau favori de Thoth, son symbole et celui de la Lune sur la Terre. Le dieu et l’oiseau étaient tellement identifiés dans les idées égyptiennes, qu’on attribuait le principe de la connaissance des nombres et des mesures à l’ibis même[2], et que son pas était devenu un étalon métrique.

Les récits populaires attribuaient surtout à l’ibis noir la destruction des serpents ailés. Ces serpents venaient de l’Arabie ; les ibis noirs se postaient, dit-on, sur les frontières de l’Égypte, combattaient ces redoutables ennemis, et les empêchaient de pénétrer dans l’intérieur du pays[3]. Hérodote prétend avoir vu des amas immenses d’os et d’arêtes de ces serpents détruits par les ibis noirs[4]. L’antiquité entière a reproduit cette assertion d’après le père de l’histoire ; mais les connaissances positives que la science moderne possède de la constitution et des habitudes des deux espèces d’ibis, ne permettent d’attacher aucune confiance à cette opinion sur l’oiseau consacré à Thoth, considéré comme le sauveur de l’Égypte parce qu’il détruisait de dangereux reptiles, les sauterelles, les chenilles, et éloignait les maladies contagieuses[5]. On disait aussi que l’ibis blanc rendait un service semblable à l’autre extrémité de l’Égypte vers l’Éthiopie, en empêchant les serpents des pays méridionaux d’entrer sur la terre sacrée. Ainsi, dans la croyance vulgaire, l’Égypte était défendue contre les reptiles venimeux par les deux espèces d’ibis ; les ibis noirs défendaient les frontières vers le nord, et les ibis blancs les frontières du sud.

L’ibis blanc fut nourri dans les temples et dans les maisons particulières, comme l’image vivante de Thoth sur la Terre : lorsque ces animaux mouraient, on déposait leurs corps, embaumés avec soin, dans des catacombes, soit à Hermopolis magna, dont les médailles portent la figure de cet oiseau[6], soit dans d’autres lieux de l’Égypte et surtout dans le voisinage de Memphis, où existe encore une incroyable quantité de momies de cette espèce d’oiseau, puisqu’on les y a comptées par milliers.

  1. Idem, lib. II, cap. XXXVIII.
  2. Clément d’Alexandrie, Stromat., lib. V.
  3. Ælien, De Natur. Animal., lib. II, cap. XXXVIII.
  4. Livre II, § LXXVI.
  5. Cicéron, De Natur. Deor., lib. I, XXXVI. Eusèbe, Præp. Evangel., lib. II, § I, p. 49.
  6. Tochon, Recherches sur les Médailles de Nomes, pag. 114 et 116.