Page:Champollion - Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens, 1824.djvu/458

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caractères sont précisément ceux de l’alphabet primitif grec, savoir, Α, Β, Γ, Δ, Ε, Ι, Κ, Λ, Μ, Ν, Ο, Π, Ρ, Σ, Τ, Υ, exprimant, comme nous l’avons vu, les intonations et articulations simples ; cette coïncidence prouve que les πρῶτα στοιχεῖα de Clément d’Alexandrie sont bien les premières lettres ou lettres primitives de l’alphabet ; et peut-être cette observation ne sera pas inutile à l’histoire, si obscure encore, des caractères alphabétiques. Je la livre à votre examen, et ne me permettrai qu’une seule réflexion.

D’après vos recherches, il paraît clairement établi que les hiéroglyphes phonétiques n’ont eu pour but que de pouvoir, en certains cas, peindre, dans un caractère sacré, les sons représentés par l’écriture alphabétique. D’où il résulte qu’on a dû nécessairement prendre autant de signes hiéroglyphiques qu’il y avait de caractères dans l’alphabet, ou, en d’autres termes, de sons que cet alphabet pouvait exprimer. L’alphabet égyptien contenait, au témoignage de Plutarque[1], vingt-cinq lettres, c’est-à-dire, des caractères propres à rendre vingt-cinq sons différens. On devrait donc en trouver le même nombre parmi les hiéroglyphes phonétiques. Or, d’après le témoignage de Clément d’Alexandrie, confirmé par les monumens, l’alphabet de ces hiéroglyphes ne représente que les sons de l’alphabet primitif ; ce serait une preuve, 1.o que l’alphabet égyptien n’a contenu primitivement, comme le phénicien et le grec, que ce nombre de caractères, et que les autres ont été inventés par la suite ; 2.o que l’invention des hiéroglyphes phonétiques est d’une époque antérieure à l’introduction de ces nouveaux caractères : et en effet, vous les avez trouvés sur de très-anciens monumens. On conçoit qu’une fois inventé, cet alphabet phonétique, comme tout ce qui tenait à la religion en Égypte, a été fixé sans retour, et n’a pas dû recevoir les augmentations qu’a pu prendre successivement l’alphabet vulgaire.

Il resterait à rechercher les rapports qui ont pu exister entre l’alphabet phénicien, et celui des Égyptiens. Les réflexions précédentes font soupçonner qu’ils pourraient bien être issus l’un de l’autre : à cet égard, je suis disposé à croire que l’honneur de l’invention appartient à l’Égypte. Du moins, la tradition égyptienne qui l’attribuait à Thoth paraît-elle avoir été assez généralement accueillie des Grecs[2]. C’est un point qui mériterait une discussion approfondie, que le défaut du temps et d’instruction m’empêche d’entreprendre.

  1. De Iside et Osiride, §. 56, p. 374, init.
  2. Platon, Phileb. §. 23. — Phædr. pag. 340, ed. Heind. — Diod. Sic. I, 16. — Clem. Alex. Strom. l, 15 — Euseb. Præp. ev., I, 9, &c.