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badinage, et gardez pour d’autres fleurs vos caressantes paroles de lendemain, de fidélité. Votre nature passionnée aime éperdument toutes les nuances de roses. Quant à moi, l’amoureuse désillusionnée, qui déteste le partage, je vous écris le sentiment qui doit survivre aux folies de mon cœur. J’ai les nerfs horriblement malades.

Mais tout est fini.

Laure.

(Lettre portée par Mme de Sergy chez M. de Mirande, absent. Sur l’enveloppe, au crayon, trois fois : « Revoir. »)

Madame de Sergy, rue de Monceau.
Paris, 6 octobre.

Obligé partir à Nice. Adieu nécessaire, irrémissible, ému.

(Dépêche).

Jacques.
Paris, 7 octobre.

Vous êtes bien coupable ; vous faites, en me quittant, comme les poltrons qui prennent leurs jambes à leur cou et se sauvent sans se retourner. J’ai bien compris, n’est-ce pas ? À quoi bon les tristesses du départ et de l’adieu ? Votre lettre est venue me souhaiter bon voyage ; je l’ai là, sur le cœur. Est-ce pour me punir de ma joie de l’autre jour ? Vous m’envoyez ce mot en courant ; je vous plains de courir toujours ainsi, quand il y a près de vous, de l’ombre et du bonheur.

Je vous vois de nouveau dans les aventures, comme feu Figaro. Vous êtes décidément un être si décousu que je vous excuse et vous pardonne, cher Juif-Errant, qui marchez avec cinq sous dans votre poche sans pouvoir vous arrêter jamais.

Vous avez des choses tristes à m’écrire, parce que vous n’avez pas le courage de me les dire. D’ailleurs, j’avais des pressentiments ; les voilà qui se justifient. Vous me rendez la clef de mes chers songes heureux. Je vous aimais pourtant bien, et je ne puis m’empêcher de « te » le dire encore.

Il me semble que c’est mon dernier baiser.

Tu as hésité, retardé, consulté. Plus de doute. Eh bien, je serai brave. Et quand le temps d’épreuves sera passé, les amoureux se retrouveront des amis. Mais quand ? En attendant, il faut te dire adieu en t’adorant. Adieu donc. Je t’adore, je te le jure, et je veux t’étreindre dans ma lettre, une suprême fois de toutes mes forces, comme l’autre jour, te rappelles-tu ?

Non. Ce serait faire revivre un souvenir que je ne veux pas revoir. J’oublie aussi. Je mettrai sur de la cire noire : Espérer. Tiens, vois-tu, j’aime mieux fermer tout de suite ma lettre et mes yeux et, autant que possible, mon pauvre cœur.

Laure.