Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naîtra la formation d’un musicien… On se trompe assurément, si l’on croit que les musiciens disposent leur plume et leur papier dans l’intention misérable d’exprimer, de figurer ou de peindre ceci ou cela. Mais qu’on ne restreigne pas pour autant les influences et impressions fortuites du dehors. Inconsciemment, à côté de l’imagination musicale, une idée continue souvent d’agir ; à côté de l’oreille, l’œil. Celui-ci, l’organe toujours actif, maintient, au milieu des bruits et des sons, certains contours, qui peuvent former, avec la musique prééminente, des figures déterminées. Plus les éléments apparentés à la musique portent en eux les pensées ou les images créées par les sons, plus la composition aura d’expression plastique ou poétique ; plus fantastique[1] ou aiguë est la conception du musicien, plus son œuvre gagnera en élévation ou en émotion… L’essentiel est que la musique, sans texte ou sans explication, soit quelque chose en elle-même et que l’esprit y règne… Ce n’est jamais un bon signe pour une musique d’avoir besoin d’un titre : car elle n’émane pas alors d’une source intérieure profonde, mais doit son impulsion à une entremise extérieure[2]. »

Le poème symphonique court néanmoins plus d’un danger. La liberté de forme, qu’il affiche comme une de ses conquêtes, n’est-elle pas toute relative et en partie illusoire ? Nous avons vu qu’elle ramène presque toujours le plan et le développement au trinôme hégélien, thèse, antithèse, synthèse, déjà posé, quoique de façon moins explicite, dans les dernières œuvres de Beethoven. Les éléments ou procédés musicaux, dont il fait usage pour réaliser objectivement ses intentions suivant ce plan, appartiennent à un répertoire tout aussi conventionnel, pour ne pas dire usé. Le rythme carré et la trompette des marches guerrières, les saccades de l’agitation, les tré-

  1. C’est-à-dire, « créatrice d’images, de formes ou de rêves » : le terme est en allemand beaucoup moins fort qu’en français ; mais tout autre mot français serait trop faible pour rendre le sens du mot allemand.
  2. Schumann, Gesammelte Schriften über Musik und Musiker, passim.