Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/265

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sacrifier à la réussite extérieure. Il faut que la raison pénètre de plus en plus l’humanité ; il faut que la raison s’insère de plus en plus dans l’action, mais à cette condition que par cette pénétration, par cette insertion la raison ne soit jamais entamée. Les avantages que la raison tire de son travail propre et les avantages que la raison et l’humanité tirent de sa propagation ne sont pas des avantages du même ordre qui se balancent et peuvent s’équivaloir. Mais les avantages propres de la raison travaillant sont rigoureusement conditionnels, constituent la condition indispensable sans quoi l’avantage extérieur est annulé.

On doit travailler de son mieux à faire avancer la raison dans son travail propre ; on doit travailler de son mieux à faire entrer la raison dans l’action de l’humanité, mais ces deux efforts ne sont pas du même ordre ; le deuxième est rigoureusement conditionné par le premier. Le premier est absolument libre du deuxième.


La raison n’est pas tout le monde. Nous savons, par la raison même, que la force n’est pas négligeable, que beaucoup de passions et de sentiments sont vénérables ou respectables, puissants, profonds. Nous savons que la raison n’épuise pas la vie et même le meilleur de la vie ; nous savons que les instincts et les inconscients sont d’un être plus profondément existant sans doute. Nous estimons à leur valeur les pensées confuses, les impressions, les pensées obscures, les sentiments et même les sensations. Mais nous demandons que l’on n’oublie pas que la raison est pour l’humanité la condition rigoureusement indispensable. Nous ne pouvons