Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe pour que la classe ouvrière arrivât à la maturité politique ? Il comptait sans doute parmi les guerres extérieures nécessaires la lutte de l’Europe occidentale contre la Russie. C’était la Russie qui venait d’être en Europe le grand instrument de la réaction, et il paraissait à Marx que toute révolution serait impossible dans l’Europe occidentale tant que le tsarisme ne serait pas brisé. Aussi, dès que la guerre de Crimée éclata, il la salua avec joie : dans ses lettres sur la question d’Orient, il gourmande, il presse le ministère libéral anglais, trop lent, selon lui, à engager la bataille. La Russie ne fut pas écrasée, et la révolution sociale européenne ne jaillit pas de la guerre de Crimée, comme un moment l’avait espéré Marx, gagné à son tour par la fièvre d’impatience et d’illusion qu’en 1850 il reprochait à ses collègues du comité de Londres. Et pourtant, la guerre de Crimée ébranla en Russie le vieux système. De ce côté, le formidable obstacle que Marx redoutait est sinon détruit, au moins diminué. Il me paraît douteux, s’il éclatait dans toute l’Europe occidentale une révolution socialiste, si le prolétariat était un moment maître du pouvoir à Paris, à Vienne, à Rome, à Berlin, à Bruxelles, comme la démocratie fut maîtresse en 1848, que la Russie pût intervenir pour écraser le mouvement aussi