Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/494

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un patrimoine, le maître n’en dispose plus aussi aisément. La propriété individuelle du maître sur le serf est moins aisée à définir, moins simple que la propriété individuelle du maître sur l’esclave. La personnalité humaine, qui était souvent nulle chez l’esclave, et qui se manifeste mieux chez le serf, complique les rapports de propriété ; elle introduit dans la notion de propriété individuelle des éléments multiples et flottants. Et ici, cette complication de la propriété est un progrès certain.

Au contraire, à la fin du dix-huitième siècle, quand l’heure fut venue où les bourgeois et les paysans purent abattre le système féodal, c’est dans le sens d’une simplification de la propriété que s’exerça la Révolution. Elle débarrassa la propriété industrielle de toutes les servitudes et complications du régime corporatif. Elle débarrassa la propriété rurale de l’énorme enchevêtrement des droits féodaux et ecclésiastiques. Le bourgeois, le paysan devinrent plus nettement, plus absolument propriétaires qu’ils ne l’étaient sous le régime féodal et, à ce moment, dans le passage du féodalisme au capitalisme, la simplification, au moins apparente, de la propriété fut un progrès humain, comme douze siècles plus tôt, dans le passage de l’esclavage au servage, la complication de la propriété avait été un progrès humain.