Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/554

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une cruelle souffrance que d’établir brusquement une disproportion de fortune, une inégalité sociale entre eux et leurs frères plus favorisés, avec lesquels il semblait que tout dût leur être commun. Et quand cette souffrance vient aux enfants par la volonté du père, c’est un acte contre nature.

C’est donc au nom du droit de la nature que la révolution assure l’égalité dans le partage des biens entre les enfants. Mais qu’on y prenne garde, cette nature équitable et bonne qui intervient dans la vie sociale de chaque famille, ce n’est point en l’individu qu’elle réside, ce n’est point par l’individu qu’elle s’exprime. La loi ne laisse point à la sensibilité de chaque citoyen, aux affections naturelles du père le soin d’opérer entre tous les membres de la famille une répartition juste et bonne du bien familial. Il se peut que le père cède à des préférences injustes, à des caprices de tendresse, à des préventions aveugles, à l’orgueil de caste qui se plaît à concentrer sur une seule tête tous les rayons de la fortune familiale, ou encore à cette sorte d’avarice posthume qui aime à se survivre dans l’intégrité du patrimoine remis tout entier ou presque tout entier à un des enfants. Alors, dans le cœur du père, dans la conscience de l’individu, la nature est faussée ; et c’est la loi qui se fait la gardienne fidèle, l’interprète vraie de la nature. C’est