Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/582

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lui-même, il est rare qu’il n’y soit pas attaché par des fibres profondes : ce domaine qui pour l’indifférent ressemble sans doute à tous les domaines a pour celui qui dès longtemps le possède une physionomie particulière et un langage secret. C’est là qu’il a joué, grandi, rêvé, aimé ; et ses souvenirs ont pris la forme de cet horizon.

Entre le propriétaire industriel ou marchand et sa propriété le rapport semble moins matériel, moins étroit. Les machines, les usines, toujours en trépidation et en transformation, ne prennent pas le cœur par l’action lente et pénétrante de la terre. Et pourtant, quand un industriel est vraiment chef d’industrie, quand un négociant est vraiment chef de négoce, quand ils veillent eux-mêmes au fonctionnement de ce mécanisme compliqué et souvent terrible où leur fortune, leur vie, leur honneur même sont engagés, le capital industriel ou commercial qu’ils mettent en œuvre est pénétré de leur pensée et de leur effort ; il porte la marque de leur personne. Ainsi, sous cette forme encore, il y a un rapport étroit entre le propriétaire individuel et l’objet de sa propriété. Il est clair que le rapport se relâche à mesure que cette propriété s’étend ; et il vient un point de croissance de la grande industrie où elle dépasse les facultés d’action et de contrôle du possédant ; il est obligé de constituer une sorte