Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/596

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Souvent ils sont très éloignés ; ils n’ont jamais vu de leurs yeux l’horizon noirci par la fumée de leurs usines.

La propriété du paysan est un morceau de sa vie : elle a porté son berceau, elle est voisine du cimetière où dorment ses aïeux, où il dormira à son tour ; et du figuier qui ombrage sa porte il aperçoit le cyprès qui abritera son dernier sommeil. Sa propriété est un fragment de la patrie immédiate, de la patrie locale, un raccourci de la grande patrie.

De l’actionnaire à sa propriété inconnue, tous ces liens sont brisés. Il ne sait pas en quel point de la patrie jaillit pour lui la source des dividendes, et souvent c’est de la terre étrangère que cette source jaillit. Que de valeurs étrangères sont mêlées dans le portefeuille capitaliste aux valeurs nationales, sans qu’aucun goût de terroir permette de les discerner.

J’ouvre l’annuaire statistique que l’Office du travail vient de publier pour l’année 1900, je regarde les tableaux des valeurs comprises en 1899 dans les donations et successions : les rentes françaises et autres valeurs du trésor français figurent dans les donations pour 41 millions ; les rentes et effets publics des gouvernements étrangers figurent dans les donations pour 11 millions ; les valeurs des sociétés françaises y sont pour 24 millions ; les