Page:Charles Perrault - Les Contes de Perrault, edition Feron, Casterman, 1902.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et comme un prince qui va se marier. « Vous me voyez, dit-il, madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour exécuter la vôtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes, — Je vous avouerai franchement, répondit la princesse, que je n’ai pas encore pris ma résolution là-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez. — Vous m’étonnez, madame, lui dit Riquet à la Houppe. — Je le crois, dit la princesse, et assurément, si j’avais affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrassée. Une princesse n’a que sa parole, me dirait-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis ; mais, comme celui à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis sûre qu’il entendra raison. Vous savez que, quand je n’étais qu’une bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser ; comment voulez-vous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile que je n’étais, je prenne aujourd’hui une résolution que je n’ai pu prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tout de bon à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’ôter ma bêtise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais.

— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, serait bien reçu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je n’en use pas de même, dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que celles qui n’en ont pas ? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhaité d’en avoir ? Mais venons au fait, s’il vous plaît. A la réserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous déplaise ? Êtes vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manières ? — Nullement, répondit la princesse ; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire. — Si cela est ainsi, reprit Riquet à la Houppe, je vais être heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable des hommes. — Comment cela se peut-il faire ? lui dit la princesse. — Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous souhaitez