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tère doux et charmant, il s’attacha si bien à la famille Frémont, qu’il en fit à jamais partie. Il avait fait toutes les études qu’on peut faire en ces pays lointains, et son bagage scientifique était assez maigre ; mais il possédait des notions exactes sur l’histoire naturelle, car il avait beaucoup voyagé, et c’était là qu’il avait amassé le meilleur de son savoir. Il y avait en outre dans la maison une domesticité nombreuse, gouvernée par Pétronille et par Bénito, son mari.

Frémont, riche, nous l’avons dit, se résolut à céder l’exploitation des bois qui depuis longtemps lui appartient tout entière, à quitter le Péten et à aller habiter Mexico, où ses enfants pourront achever une instruction dont Sulpice n’avait pu que poser les bases. L’avenir d’Éléonore l’inquiétait par-dessus tout. La petite ville de Florès n’offrait aucune ressource, car la pauvre bourgade, placée aux confins du désert, s’effondrait dans la solitude. Eléonore avait seize ans ; elle était blanche et blonde, avec de grands yeux et des sourcils noirs ; ses cheveux cendrés lui tombaient en masses épaisses plus bas que la ceinture, et son nez mutin aux ailes palpitantes était légèrement relevé. Que deviendrait-elle à Florès ? Il faudrait bientôt songer à l’établir, et nulle parmi les familles créoles de la ville ne pouvait lui offrir un mari digne d’elle. Frémont aurait pu retourner à Guatemala, siège de la famille de sa femme, mais la plupart de ses proches avaient disparu, tandis qu’il avait à Mexico, outre les relations que lui avaient procurées ses grandes affaires, des amis et des parents qui lui composeraient dès son arrivée un centre affectueux ; et puis, Mexico, c’était la grande ville, une vraie capitale, offrant les ressources d’une société choisie, où la politique, la science, la littérature et l’art ouvraient de vastes horizons à toutes les intelligences.

Ce fut donc pour Mexico que Frémont se décida. C’était un long voyage, d’autant plus long qu’il voulait jeter un dernier regard à ses chantiers dans les forêts lointaines, passer par Tabasco et Chiapas où de grands intérêts restaient en souffrance, et visiter entre temps les palais et les temples des anciennes villes indiennes qui peuplaient les solitudes des bois.