Page:Charnay Désiré Aventures d'une famille en voyage 1898.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemins sauvages et par cette nuit obscure, lui en avait une reconnaissance infinie.

La situation s’aggravait ; malgré le feu et la fumée les moustiques avaient envahi la case, Sulpice n’avait plus d’histoire, les brillantes étincelles des cocuyos, si admirées jadis, manquaient de charme, et les yeux des enfants, alourdis par la fatigue et le sommeil, ne s’ouvraient plus qu’aux piqûres des moustiques impitoyables. Tout repos devenait impossible.

Vers les dix heures, d’Artagnan, qui pas plus que les hommes ne dormait, donna de la voix. Un espoir s’éveilla. Les Indiens peut-être ! Puis le galop d’une mule retentit et Charles Taylor, ruisselant, sa monture à moitié fourbue, apparut à l’entrée du rancho.

On se précipita au-devant de lui, anxieux de nouvelles.

Elles étaient mauvaises, mais le mal serait réparé le lendemain. Que s’était-il passé ? Le voici : Les Indiens, munis d’argent, n’avaient trouvé rien de mieux que de s’enivrer selon l’habitude, mais dans des proportions inaccoutumées, si bien que dans leur délire il y avait eu disputes, bataille et blessures graves pour quelques-uns d’entre eux. Le village avait été mis en révolution : l’alcade dut intervenir et les porteurs avaient été mis en prison. C’est là qu’ils cuvaient leur vin.

« J’ai naturellement récusé les blessés, dit Charles, et, d’après mes ordres, ils seront dès l’aube remplacés par des Indiens à jeun ; l’alcade me l’a promis, et Panfilo sera là pour surveiller le départ. Quant à moi, j’apporte de quoi déjeuner en les attendant » ; et il lirait de ses arganas, sacs d’aloès suspendus aux flancs de la mule, deux poulets, des œufs durs et une pile de tortillas. « Voici, de plus, deux moustiquaires et trois couvertures qui pourront constituer un lit passable pour Pancho et la Niňa et qui leur permettront de dormir.

— Que vous êtes bon, don Carlos ! » lui dit là jeune fille en lui serrant la main.

Le père aussi le remercia.

Le premier repas se fit au petit jour, et les Indiens arrivèrent