« C’est là un sanglier ? dit Eléonore : je le croyais beaucoup plus grand et couvert de soies longues et rudes ; c’est ainsi que je l’ai vu dans mes livres d’histoire naturelle.
— Vous avez raison, Nina, lui dit Sulpice, aussi n’est-ce pas un sanglier, mais un simple cochon à l’état sauvage et transformé par le milieu.
— Par le milieu ? interrompit François.
— Oui, par le milieu, c’est-à-dire par le climat, la nourriture, l’habitude. Il a pris une robe uniforme au lieu des pelages divers qu’il revêt dans la domesticité.
— C’est vrai, j’en ai vu de toutes les couleurs, noirs, blancs, jaunes, gris. Alors celui-là n’appartient donc pas à l’Amérique ?
— Non, ce sont les Espagnols qui l’ont introduit dans le Nouveau Monde.
— Et pourquoi l’appelle-t-on cochon ?
— Du mot celtique cocha et cauch, qui est plein de boue, sale, impur ; car tu sais combien il aime à se vautrer dans la fange.
— Ah ! comme c’est drôle ! firent les deux enfants.
— L’introduction du cochon en Amérique est bien plus drôle encore.
— Conte-nous-la, Sulpice.
— Je veux bien. Les premiers sujets vinrent des Canaries, où Colomb s’arrêta pendant son second voyage, en 1495. Une fois à Saint-Domingue, l’amiral s’empara des femelles au nom du roi, les réservant pour la propagation de l’espèce, et ne les livra au public que quelques années plus tard, lorsque l’existence de l’espèce fut assurée ; la propagation en fut si rapide à Saint-Domingue que dix ans après, en 1505, le commandeur Nicolas de Ovando put louer le droit de chasser les porcs devenus sauvages, à raison de 2 000 piastres d’or par an.
— Combien cela faisait-il ? demanda Eléonore.
— Rien de bien sûr à cet égard. Fernando Ramirez, un grand savant en ces matières, prétend que la piastre d’or, le peso de oro, valait 2 piastres 93, près de 15 francs. Orozco y Berra, autre savant, nous dit qu’elle ne valait que 2 piastres 64, soit 13 francs,
