Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome II, 1827.djvu/180

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troubles, l’entrée en est fascheuse, ils disparoissent en un moment ; et quand ils sont escoulez, il ne demeure que de la bourbe au fond. Le second poinct est de se souvenir que la prosperité est, comme un venin emmiellé, douce et flatteresse, mais très dangereuse, à quoy il se faut bien tenir en cervelle. Quand la fortune rit et que tout arrive à souhait, c’est lors que nous debvons plus craindre et penser à nous, tenir nos affections en bride, composer nos actions par raison, sur-tout esviter la presomption, qui suyt ordinairement la faveur du temps. C’est un pas glissant que la prosperité, auquel il se faut tenir bien ferme ; il n’y a saison en laquelle les hommes oublient plustost Dieu : c’est chose rare et difficile de trouver personne qui ne s’attribue volontiers la cause de sa felicité. C’est pourquoy, en la plus grande prosperité, il faut user du conseil de ses amis, et leur donner plus d’authorité sur nous qu’en autre temps. Il faut donc faire comme en un mauvais et dangereux chemin, aller en craincte et doubte, et demander la main d’autruy. Aussi en telle saison le malheur est medecine, car il nous rameine à nous