Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome II, 1827.djvu/264

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en deux cas : l’un, le plus naturel et legitime, est une vie fort penible et douloureuse ou apprehension d’une beaucoup pire mort, bref un estat miserable, auquel l’on ne peust remedier ; c’est lors desirer la mort comme une retraicte et le port unique des tourmens de ceste vie, le souverain bien de nature, seul appuy de nostre liberté. C’est bien foiblesse de ceder aux maux, mais c’est folie de les nourrir : il est bien temps de mourir lors qu’il y a plus de mal que de bien à vivre : car de conserver nostre vie à nostre tourment et incommodité, c’est contre nature. Dieu nous donne assez congé, quand il nous met en cest estat. Il y en a qui disent qu’il faut mourir pour fuyr les voluptez, qui sont selon nature. Combien plus pour fuyr les douleurs, qui sont contre nature ? Il y a plusieurs choses en la vie pires beaucoup que la mort, pour lesquelles il vaut mieux mourir, et ne vivre poinct que de vivre : dont les lacedemoniens asprement menacez par Antipater, s’ils ne s’accordoient à sa demande, luy respondirent : si tu nous menaces de pis que la mort, nous aymons mieux mourir : et les sages disent que le sage vit tant qu’il doibt et non pas tant qu’il peust : et puis la mort nous est bien plus en main et à commandement, que la vie.