Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome II, 1827.djvu/365

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

autres. Les uns sont pour l’advertir de son honneur et debvoir, de ses deffauts, et luy dire ses veritez. Il n’y a gens au monde qui ayent tant de besoin de tels amis comme les princes, qui ne voyent et n’entendent que par les yeux et par les oreilles d’autruy. Ils soustiennent une vie publicque, ont à satisfaire à tant de gens, on leur cele tant de choses, que, sans le sentir, ils se trouvent engagez en la hayne et detestation de leurs peuples, pour des choses fort remediables et fort aisées à esviter, s’ils en eussent esté advertis d’heure. D’autre part les advertissemens libres, qui sont les meilleurs officiers de la vraye amitié, sont perilleux à l’endroict des souverains : combien qu’ils soyent bien delicats et bien foibles, si, pour leur bien et profict, ils ne peuvent souffrir un libre advertissement, qui ne leur pince que l’ouye, estant le reste de l’operation en leur main. Les autres sont pour l’advertir de tout ce qui se passe et se remuë non seulement parmy ses subjects et dedans l’enclos de son estat, mais encore chez ses voisins ; de tout, dis-je, qui touche de loin ou près l’estat sien et de ses voisins. Ces deux sortes de gens respondent aucunement à ces deux amis d’Alexandre, Ephestion et Craterus, dont l’un aymoit le roy, et l’autre Alexandre, c’est-à-dire l’un l’estat, et l’autre la personne.