Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/171

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est si certain et si necessaire, que les legislateurs mesmes, qui ont voulu reigler le commerce et les affaires du monde, ont connivé et permis en la justice distributifve et commutatifve plusieurs passe-droicts. Ils ont permis de se decepvoir et blesser jusques à la moitié de juste prix. Ceste necessité de s’entre-heurter et offenser vient premierement de la contrarieté et incompatibilité d’humeurs et de volontez, d’où vient que l’on s’offense sans le vouloir faire ; puis de la concurrence et opposition des affaires, qui porte que le plaisir, profict et bien des uns est le desplaisir, dommage et mal des autres : et ne se peust faire autrement, suyvant ceste commune et generalle peincture du monde : si celuy qui vous offense est un insolent, fol et temeraire (comme il est, car un homme de bien ne faict jamais tort à personne), pourquoy vous plaignez-vous, puis qu’il n’est non plus à soy qu’un insensé ? Vous supportez bien d’un furieux sans vous plaindre, voire en avez pitié ; d’un bouffon, d’un enfant, d’une femme, vous vous en riez : un fol, yvrogne, cholere, indiscret, ne vaut pas mieux. Parquoy quand telles gens vous attaquent de paroles, ne leur faut poinct respondre : il se faut taire et les quitter là. C’est une belle et glorieuse revanche et cruelle pour un fol, que de n’en faire compte : car c’est luy oster le plaisir qu’il pense prendre en vous faschant ; puis par vostre silence il est condamné d’impertinence, sa temerité luy demeure en la bouche : si l’on luy respond,