Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/37

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comme la verité, encore y auroit-il quelque remede ; car nous prendrions pour certain le contraire de ce que dict le menteur : mais le revers de la verité a cent mille figures et un champ indefiny. Le bien, c’est-à-dire la vertu et la verité, est finy et certain, comme n’y a qu’une voye au blanc : le mal, c’est-à-dire le vice, l’erreur et le mensonge, est infiny et incertain, car mille moyens à se desvoyer du blanc. Certes si l’on cognoissoit l’horreur et le poids du mensonge, l’on le poursuyvroit à fer et à feu. Et ceux qui ont en charge de la jeunesse debvroient avec toute instance empescher et combattre la naissance et le progrez de ce vice, et puis de l’opiniastreté, et de bonne heure, car tousiours croissent. Il y a une menterie couverte et desguisée, qui est la feinctise et dissimulation (qualité notable des courtisans, tenue en credit parmy eux comme vertu), vice d’ame lasche et basse ; se desguiser, se cacher soubs un masque, n’oser se monstrer et se faire voir tel que l’on est, c’est une humeur coüarde et servile. Or, qui faict profession de ce beau mestier vit en grande peine ; c’est une grande inquietude que de vouloir paroistre autre que l’on n’est, et avoir l’œil à soy, pour la craincte que l’on a d’estre descouvert. Le soin de cacher son naturel est une gehenne, estre descouvert une confusion. Il n’est tel plaisir que vivre